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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/648

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REMARQUES


vérité, qui me paraît avoir échappé à tous les philosophes. Il est tiré de la relation d’un voyage fait aux Moluques, en 1769, par le capitaine Dryden.

« On emploie, dans ces îles, une singulière méthode de découvrir la vérité ; voici en quoi elle consiste : quand on veut savoir si un homme a commis ou n’a pas commis une certaine action, et que des gens qui ont acheté, pour une somme assez modique, le droit de s’en informer, n’ont pas eu l’esprit de découvrir la vérité, ils font lier fortement les jambes de l’accusé entre des planches ; ensuite on serre entre ces planches un certain nombre de coins de bois à force de bras et de coups de maillet. Pendant ce temps-là, les rechercheurs interrogent tranquillement le patient, font écrire ses réponses, ses cris, les demi-mots que les tourments lui arrachent, et ils ne relaissent en repos qu’après être parvenus à le faire évanouir deux ou trois fois, par la force de la douleur, et que le médecin, témoin de l’opération, déclare que, si on continue, le patient mourra dans les tourments. Quelquefois il arrive que les rechercheurs n’ont pas eu besoin de recourir à ce moyen pour se croire sûrs de la vérité, mais qu’il leur reste un léger scrupule ; alors ils ordonnent, qu’avant de punir l’accusé, on recourra à la méthode infaillible des maillets et des coins. A la vérité, ils remplissent de tourments horribles les derniers moments de cet infortuné ; mais ses aveux, extorqués par la torture, rassurent leur conscience ; et au sortir de là, ils en dînent bien plus