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Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/660

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REMARQUES


hommes et placés à côté de lui. Mais je n’ai pas tout dit : en vain les lois, en consacrant cet usage, qu’aucune loi positive ne peut rendre légitime, parce qu’il viole les droits de la nature ; en vain les lois ont-elles voulu mettre une borne à la cruauté des maîtres : leur ingénieuse barbarie élude toutes les lois. Le colon renfermé dans sa plantation, seul avec quelques satellites au milieu de ses noirs, est sûr de n’avoir que des témoins dont la loi rejette le témoignage. Là, juge à la fois et partie, il prodigue en sûreté les tortures et les supplices ; le noir qu’il croit coupable est déchiré, tenaillé, jeté vivant dans des fours ardents aux yeux de ses tristes compagnons, qui, tremblant d’être traités comme complices, n’osent même montrer une stérile pitié.

La jeune Américaine assiste à ces supplices ; elle y préside quelquefois : on veut l’accoutumer de bonne heure à entendre, sans frémir, les hurlements des malheureux : on semble craindre qu’un jour sa pitié ne tente de désarmer le cœur de son époux.

Ces crimes sont publics, la loi les tolère, l’opinion ne les flétrit pas ! On ose même en faire l’apologie : sans cela, dit-on, nous ne pourrions avoir de sucre. Eh bien ! si on ne peut en avoir qu’à force de crimes, il faut savoir se passer de sucre ; il faut renoncer à une denrée souillée du sang de nos frères. Mais qui a dit qu’on ne pouvait en avoir qu’à ce prix ? Quelles tentatives a-t-on faites pour s’en procurer autrement ? Quoi ! c’est sur la foi d’un préjugé, qu’on ne daigne pas même examiner, que la loi a autorisé cette horrible violation des droits de la nature, et