Aller au contenu

Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 3.djvu/68

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
56
ÉLOGE DE M. D’ALEMBERT.


médecin sans fortune obtiennent dès les premiers pas de leur carrière. M. D’Alembert étudia d’abord en droit, et y prit des degrés, mais il abandonna bientôt cette étude : l’ouvrage de Montesquieu n’existait point encore, on ne prévoyait pas la révolution qu’il devait produire dans nos esprits ; l’étude du droit ne pouvait paraître que celle de l’opinion, de la volonté, du caprice des hommes, qui, depuis trente siècles, avaient joui ou abusé du pouvoir en Grèce, à Rome et chez les Barbares : comment un jeune géomètre n’eût-il pas été bientôt dégoûté de pareils objets, sur lesquels il trouvait à exercer sa mémoire bien plus que sa raison ? Il préféra donc la carrière de la médecine ; mais la passion de la géométrie lui faisait encore négliger ses nouvelles études, et il prit le parti courageux de se séparer des objets de sa passion ; ses livres de mathématiques furent portés chez un de ses amis, où il ne devait les reprendre qu’après avoir été reçu docteur en médecine, lorsqu’ils ne seraient plus pour lui qu’un délassement et non une distraction.

Cependant, poursuivi par ses idées, il demandait de temps en temps à son ami un livre qui lui était nécessaire pour se délivrer de cette inquiétude pénible que si peu d’hommes connaissent, et que produit le souvenir confus d’une vérité dont on cherche en vain les preuves dans sa mémoire ; peu à peu tous ses livres se retrouvèrent chez lui : alors, bien convaincu de l’inutilité de ses efforts pour combattre son penchant, il y céda, et se voua pour toujours aux mathématiques et à la pauvreté. Les