Page:Condorcet - Œuvres, Didot, 1847, volume 7.djvu/254

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forme un langage particulier au premier âge, et proportionné à la faiblesse de l’organe de la parole, il faudrait instituer une langue à part proportionnée à leur intelligence. On peut donc employer, dans les livres destinés aux enfants, des mots qui expriment des nuances, des degrés de sentiment qu’ils ne peuvent connaître, pourvu qu’ils aient une idée de ce sentiment en lui-même ; et dès que l’idée principale exprimée par un mot est à leur portée, il est inutile qu’il réveille en eux toutes les idées accessoires que le langage ordinaire y attache. Les langues ne sont pas l’ouvrage des philosophes ; on n’a pas eu soin d’y exprimer, par un mot distinct, l’idée commune et simple, dont un grand nombre d’autres mots expriment les modifications diverses ; jamais même on ne peut espérer qu’elles atteignent à cette perfection, puisque les mots ne se formant qu’après les idées et par la nécessité de les exprimer, les progrès de l’esprit précèdent nécessairement ceux du langage. Il y a plus : si l’on doit donner aux enfants une analyse exacte, quoique incomplète encore, du sens des mots qui désignent ou les objets physiques qu’on veut leur faire connaître, ou les idées morales sur lesquelles on veut fixer leur attention, et de ceux qui doivent servir pour ces développements, il est impossible d’analyser avec le même scrupule les mots d’un usage vulgaire qu’on est obligé d’employer pour s’entendre avec eux.

Il y aura donc pour eux, comme pour nous, deux manières de comprendre les mots : l’une plus vague pour les mots communs, l’autre plus précise pour