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sur l’esclavage des Negres

Quant à l’humanité qu’on ſuppoſe aux maîtres de Noirs, j’avoue que j’ai connu des

    core ſi enracinés dans certaines parties de l’Europe, qu’on y a vu des miniſtres qui ſe piquoient d’humanité & de vertu, recevoir la dédicace d’ouvrages où l’on faiſoit l’apologie de cette coutume barbare. Il y a même des gens qui ſont de ſi bonne foi ſur cet article, qu’un négociant s’aviſa de propoſer, il y a quelques années, à un miniſtre révéré en Europe pour ſes lumieres & pour ſes vertus, de donner ſon nom à un vaiſſeau destiné à la traite des Negres. On ſent quelle dût être la réponſe du miniſtre.

    Lorſque j’ai écrit cette note, la mort n’avoit point enlevé à la France, à l’Europe, au monde entier, le ſeul homme peut-être dont on ait pu dire que ſon exiſtence étoit néceſſaire à l’humanité. Il avoit embraſſé, dans toute ſon étendue, le ſyſtème des ſciences, d’où dépend le bonheur des hommes. Il avoit donné pour baſe à ces ſciences un petit nombre de vérités ſimples, puiſées dans la nature de l’homme ou des choſes, & ſuſceptibles de preuves rigoureuſes. La déciſion de toutes les queſtions de droit public, de légiſlation, d’adminiſtration, devenoit une conſéquence néceſſaire & jamais arbitraire de ces principes : il n’avoit rien trouvé qui ne pût, qui ne dût être réglé par les loix inflexibles de la juſtice, & il avoit aſſujetti le ſyſtème ſocial