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figures si propres à son sujet, qu’il n’y en a pas une dont l’action n’ait rapport à l’état où étoit alors le peuple juif, qui, au milieu du désert, se trouvoit dans une extrême nécessité et dans une langueur épouvantable, mais qui dans ce moment se vit soulagé par le secours du ciel. De sorte que les uns semblent souffrir sans connoître encore l’assistance qui leur est envoyée ; et les autres qui sont les premiers à en ressentir les effets sont dans des actions différentes.

Mais, pour entrer dans le particulier de ces figures et apprendre de leurs actions mêmes, non seulement ce qu’elles sont, mais ce qu’elles pensent, il fit un détail très exact de tous leurs mouvements.

Il dit que ce n’est pas sans dessein que M. Poussin a représenté un homme déjà âgé pour regarder cette femme qui donne à téter à sa mère, parce qu’une action de charité si extraordinaire devoit être considérée par une personne grave, afin de la relever davantage, d’en connoître le mérite et donner sujet, en s’appliquant à la voir, de la faire aussi remarquer plus particulièrement par ceux qui verront le tableau. Il n’a pas voulu que ce fût un homme grossier et rustique, parce que ces sortes de gens ne font pas réflexion sur les choses qui méritent d’être considérées.

Comme ce grand peintre ne disposoit pas ses figures pour remplir seulement l’espace de son tableau, mais qu’il faisoit si bien qu’elles sembloient toutes se mouvoir, soit par des actions du corps, soit par des mouvements de l’âme, il montra que cet homme représente bien une personne étonnée et surprise d’admiration : l’on voit qu’il a les bras retirés et posés contre le corps, parce que, dans les grandes surprises, tous les membres se retirent d’ordinaire les uns auprès des autres, lors principalement que l’objet qui nous surprend n’imprime dans notre esprit qu’une image qui nous fait admirer ce qui se passe, et que l’action ne nous cause aucune crainte ni aucune frayeur qui puisse troubler nos sens, et leur donner sujet de chercher du secours et de se défendre contre ce qui les menace. Aussi l’on voit que, ne concevant que de l’admiration pour une chose si digne d’être remarquée, il ouvre les yeux autant qu’il le peut, et comme si, en regardant plus fortement, il comprenoit davantage la grandeur de cette action, il emploie toutes