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Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/251

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— Quoi ! Encore ici, mon ami ? Auriez-vous oublié quelque chose ?

— C’est cela, tonnerre ! J’avais oublié quelque chose que je suis venu vous dire. Non... dehors. Derrière le mur. C’est une chose trop affreuse pour la raconter dans un endroit où elle habite.

Le Chevalier sortit tout de suite, avec cette résignation bienveillante dont font montre certains vieillards pour les fugues de la jeunesse. Plus âgé d’un quart de siècle que le général d’Hubert, il le tenait, dans le fond de son cœur, pour un jeune amoureux assez fâcheux. Il avait bien entendu ses paroles énigmatiques, mais n’attachait pas une importance excessive à ce que peut raconter un quadragénaire si durement touché. L’état d’esprit de la génération française mûrie pendant ses années d’exil lui restait à peu près inintelligible. Les sentiments de ces gens-là avaient pour lui une absurde violence, manquaient de tact et de mesure, leur langage était inutilement exagéré. Il rejoignit tranquillement le général sur la route, et ils firent quelques pas en silence ; d’Hubert s’efforçait de maîtriser son agitation et de retrouver le calme de sa voix.

— C’est parfaitement exact ; j’avais oublié quelque chose ; j’avais oublié, jusqu’à l’heure dernière, que j’avais une affaire d’honneur urgente sur les bras. C’est incroyable, mais c’est vrai.

Il y eut un instant de profond silence. Puis dans la paix vespérale de la campagne, la vieille voix claire du chevalier s’éleva, légèrement chevrotante :

— Monsieur, c’est une indignité !

Telle fut sa première pensée. L’enfant née pendant son exil, la fille posthume de son pauvre frère, assassiné par une bande de Jacobins, était devenue, depuis son retour, très chère à son vieux cœur, qui n’avait vécu tant d’années que des souvenirs d’anciennes tendresses.