Page:Conrad - Gaspar Ruiz, trad. Néel.djvu/291

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jeune homme roulait ses yeux luisants et faisait grincer ses dents blanches. La musique, dans un unisson solennel de tous ses trombones, jouait une marche lente, délibérément rythmée à coups de grosse caisse.

— Qu’avez-vous donc fait ? demandai-je avec vivacité.

— Rien, répondit le Comte. J’ai laissé mes mains bien tranquilles et j’ai déclaré tout doucement au bandit que je n’allais pas faire de bruit. Il a grondé comme un chien, puis a dit, d’une voix normale :

— Vostro portofolio.

— Alors, naturellement... poursuivit le Comte... et depuis ce moment il mima toute la scène. Sans me quitter des yeux, il fouillait la poche intérieure de sa veste, en tirait un portefeuille et le tendait... Mais le jeune homme appuyait toujours sur le couteau et refusait d’y toucher.

Il obligea le Comte à sortir lui-même l’argent, le prit dans la main gauche et fit signe à sa victime de remettre le portefeuille en place. Tout cela s’accompagnait d’un trémolo adouci de flûtes et de clarinettes et d’une note plaintive des hautbois. Le « jeune homme », comme l’appelait le Comte, se plaignit : « C’est bien peu de chose !»

— La somme était médiocre, en effet, reprit le Comte, 340 ou 360 lires, à peine. J’avais laissé mon argent à l’hôtel, vous le savez. Je lui affirmai n’avoir rien de plus sur moi. Il hocha la tête avec impatience, et reprit :

— Vostro orologio.

Le Comte fit le geste de tirer sa montre et de la détacher. Le hasard voulait qu’il eût laissé chez un horloger, pour un nettoyage, son précieux chronomètre d’or habituel. Il portait, ce soir-là, à une gourmette de cuir, une montre de bazar qu’il emportait dans ses expéditions de pêche. En voyant l’instrument, l’élégant bandit eut un clappement de langue méprisant, comme