Page:Conrad - Lord Jim, trad. Neel.djvu/202

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et ce refuge, nous allions le lui offrir, à ses risques et périls, voilà tout.

« Sur tous les autres points, j’usai avec lui d’une parfaite franchise, et j’exagérai même (je le croyais, au moins), les dangers de l’entreprise. À la vérité, je ne leur avais pas rendu justice ; le premier jour de Jim au Patusan faillit être son dernier jour aussi, et n’eût pas manqué de l’être si sa témérité ou son mépris de lui-même ne lui eussent fait omettre de charger son revolver. Je me souviens d’avoir vu, tandis qu’il m’écoutait développer le précieux plan de retraite que nous avions tracé à son intention, son expression de résignation obstinée mais lasse, faire place, peu à peu, à un air de surprise, d’intérêt, de stupeur, puis à une explosion d’enthousiasme juvénile. C’était la chance même dont il avait rêvé ! Il ne pouvait comprendre comment il avait mérité que je… Il voulait être pendu s’il devinait à quoi il devait… Et c’était Stein, Stein le commerçant qui… Mais bien entendu, c’était à moi qu’il… Je l’arrêtai court ; il bredouillait et sa gratitude me causait une inexprimable souffrance. Je lui déclarai que s’il était redevable de cette chance à un être particulier, c’était à un vieil Écossais dont il n’avait jamais entendu prononcer le nom, qui était mort depuis des années et dont on ne gardait guère de souvenir, en dehors d’une voix tonnante et d’une sorte de rude honnêteté. Il n’y avait réellement personne pour agréer ses remerciements. Stein redonnait à un jeune homme l’aide qu’il avait lui-même reçue dans ses jeunes années, et mon rôle s’était borné à prononcer son nom. Sur quoi il rougit et fit timidement observer, en tordant entre ses doigts un morceau de papier, que je lui avais toujours fait confiance.

« Je reconnus le fait et ajoutai après un instant de silence que j’aurais souhaité lui voir suivre mon exemple. – « Vous croyez donc que je ne le fais pas ? » demanda-t-il avec inquiétude, puis il murmura qu’il fallait d’abord montrer un peu ce dont on était capable ; après quoi son visage s’éclaira et il éleva la voix pour protester qu’il ne me donnerait aucune occasion de regretter une confiance que… que…

– « Ne vous méprenez pas », interrompis-je ; « il n’est pas en votre pouvoir de me faire regretter quoi que ce soit.