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Page:Conrad - Sous les yeux d'Occident.djvu/148

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murmura-t-il, d’une voix qui ne paraissait plus sortir d’une gorge parcheminée. « J’ai entendu parler de vous. On m’a dit que vous aviez passé des années ici. »

« C’est exact. J’ai vécu plus de vingt ans à Genève. Et j’ai aidé Mlle Haldin dans ses études d’anglais. »

« Vous avez lu de la poésie anglaise avec elle », dit-il d’un ton parfaitement calme. Il était tout à coup transformé, sans rapports avec l’homme dont j’avais, un instant auparavant, entendu à mes côtés le pas lourd et incertain.

« Oui, de la poésie anglaise », répondis-je. « Mais c’est la lecture d’un journal anglais qui a provoqué la détresse dont je parle. »

Il continuait à me regarder, ignorant sans doute que l’histoire de l’arrestation nocturne avait été découverte et annoncée au monde par un journaliste anglais. Il accueillit mes explications avec un murmure de mépris :

« Ce n’est peut-être qu’un mensonge d’un bout à l’autre ! »

« Il me semble que vous êtes à même d’en juger mieux que personne », ripostai-je, un peu déconcerté. « J’avoue que les faits de ce récit me donnent dans leur ensemble une impression d’exactitude… »

« Comment distinguez-vous la vérité du mensonge ? » reprit-il sur le ton imperturbable qu’il venait d’adopter.

« Je ne sais pas comment vous faites en Russie… » commençai-je, un peu piqué de son attitude… mais il m’interrompit :

« Il en est en Russie comme partout ailleurs, comme dans un journal par exemple… La couleur de l’encre et la forme des lettres sont toujours les mêmes… »

« Il y a de petits détails auxquels on peut se fier pourtant ; on peut se baser sur le caractère de la publication, sur la vraisemblance générale des nouvelles, sur la considération des motifs, sur d’autres faits encore… Je ne m’en remets pas, les yeux fermés, à la conscience des correspondants particuliers, mais pourquoi celui-là aurait-il pris la peine d’élaborer un mensonge circonstancié, sur un sujet dont le monde ne se soucie guère ?… »

« C’est bien cela », grommela-t-il ; « ce qui se passe chez nous est sans importance ! On en fait des récits à sensation pour amuser les lecteurs de journaux de votre Europe supérieure et méprisante ! Oh l’odieuse pensée !… Mais attendons un peu !… »

Il se tut sur cette sorte de menace lancée à l’adresse du monde occidental. Sans m’arrêter à la colère de son regard, je lui fis observer