Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/118

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— Que voulez-vous dire ? Que dois-je craindre ? dit Lénora hors d’elle ; parlez, mon père. A-t-il refusé ?

— Il a refusé, Lénora !

— Non, non, s’écria la jeune fille, ce n’est pas possible !

— Refusé parce qu’il possède des millions, et qu’auprès de lui nous ne sommes que de pauvres gens.

— C’est donc vrai ! Gustave est perdu pour moi ? perdu sans espoir ?

— Sans espoir ! répéta le père d’une voix sombre.

Un cri aigu s’échappa de la bouche de la jeune fille ; elle courut à la table, y laissa tomber sa tête en pleurant amèrement ; des sanglots déchirants soulevaient sa poitrine, et de temps en temps elle murmurait d’une voix désespérée le nom de son bien-aimé.

Le gentilhomme se leva et contempla un instant la douleur de sa fille. Une inexprimable tristesse était empreinte sur son visage ; son regard si ardent d’habitude était terne et abattu, et il serrait convulsivement les poings. Il s’approcha de la jeune fille, et, joignant les mains, lui dit d’une voix suppliante :

— Lénora, aie pitié de moi ! Dans cette fatale entre-vue avec monsieur Denecker, j’ai souffert tous les tourments qui peuvent torturer le cœur d’un gentilhomme, le cœur d’un père ; j’ai bu à longs traits le fiel de la honte ; j’ai vidé jusqu’à la lie la coupe de l’humiliation… Mais tout cela n’est rien auprès de ta douleur. Oh ! je t’en supplie, remets-toi, montre-moi ton doux visage que j’aime tant, laisse-moi retrouver des forces dans ta résignation… Lénora !… ah ! ma tête se perd ; je me sens mourir de désespoir !