Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/129

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chaque semaine il se vendait deux ou trois fois en voiture à Anvers, sans laisser pressentir le moins du monde ce qu’il y allait faire. Il revenait tard au Grinselhof, s’asseyait à la table du souper, silencieux et résigné, et engageait bientôt Lénora à s’aller reposer, tandis que lui-même se retirait avec une lampe dans sa chambre à coucher. Mais sa fille désolée savait qu’il n’y trouvait pas le repos, car pendant les longues heures que l’angoisse dérobait au sommeil elle entendait souvent le plancher qui craquait sous les pas de son père, et alors elle tremblait dans son lit de tristesse et d’effroi.

Lénora était très-courageuse de sa nature et devait à son éducation exceptionnelle une force d’âme presque masculine ; peu à peu grandissait en elle la résolution de forcer son père à lui révéler son secret. Bien que le respect qu’elle lui portait la fît hésiter, son dévouement inquiet lui donnait chaque jour plus de courage et de hardiesse. Souvent elle était allée à la recherche de son père avec l’intention d’accomplir son dessein ; mais le regard pénétrant du gentilhomme et l’expression de sa physionomie l’avaient chaque fois retenue. Elle voyait que son père, devinant ses intentions, tremblait en sa présence de peur qu’elle ne l’interrogeât.

Un jour, monsieur de Vlierbecke était de nouveau parti de très-bon matin pour la ville.

L’heure de midi était déjà passée. Lénora, en proie à de tristes réflexions, errait lentement dans la maison. Des paroles entrecoupées lui échappaient, elle s’arrêtait brusquement, elle gesticulait, elle essuyait les larmes qui coulaient de ses yeux. Distraite et sans savoir ce