Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/136

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et avait épousé une femme de race noble, qui n’était pas plus riche que lui-même. Celle-ci, poussé, par l’ostentation, l’excita-t-elle à tenter par des moyens chanceux d’augmenter ses revenus ? c’est ce que j’ignore. Toujours, est-il qu’il spéculait sur les fonds publics. Tu ne comprends pas ce que je veux dire ? C’est un jeu auquel on peut en un instant gagner des millions, mais un jeu qui peut aussi vous plonger en peu de temps dans la plus profonde misère, un jeu qui, gentilhomme ou millionnaire, vous réduit, comme par magie, à la besace du mendiant.

Mon frère fit d’abord des bénéfices considérables, et monta sa maison sur un tel pied que les plus riches pouvaient lui porter envie. Il venait souvent nous voir ; il t’apportait, à toi qui étais sa filleule, mille cadeaux, et nous témoignait d’autant plus d’affection que sa fortune allait dépassant la nôtre.

Bien couvent je lui remontrai combien les opérations auxquelles il se livrait étaient périlleuses, et je m’efforçai de lui faire sentir qu’il ne convenait pas à un gentilhomme de risquer chaque jour sa fortune et son honneur sur une nouvelle incertaine. Comme le succès lui donnait raison contre moi, mes remontrances se trouvaient impuissantes : la passion du jeu, car c’est un jeu, l’emportait sur la sagesse de mes conseils.

Le bonheur qui l’avait longtemps favorisé parut enfin vouloir l’abandonner ; il perdit une bonne partie de ses premiers gains, et vit peu à peu sa fortune s’amoindrir. Cependant le courage ne l’abandonna pas. Au contraire, il parut se roidir avec obstination contre le sort, et se