Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/139

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tions, fixait un regard plein d’anxiété sur son père. Celui-ci poursuivit :

— Il est inutile de te peindre l’état de désespoir et d’égarement dans lequel je trouvai mon malheureux frère, et de te dire pendant combien d’heures je dus lutter pour faire pénétrer une faible lueur d’espérance dans son esprit troublé. Il n’y avait qu’un seul moyen de sauver son honneur et en même temps sa vie ; mais quel moyen, mon Dieu ! Il me fallait engager le peu de biens que je possédais, comme garantie des dettes de mon frère ; le manoir de nos aïeux, la dot de ta mère, tout ton héritage, Lénora, il fallait tout aventurer avec la certitude d’en perdre pour toujours la plus grande partie. À cette condition l’honneur de mon frère était sauf ; à cette condition, il renonçait à son projet d’échapper a la honte par la mort. Ce ne fut pas lui qui me demanda cela, au contraire, il ne supposait pas que je pusse ou dusse le faire ; mais j’avais, moi, la conviction qu’il mettrait à exécution son criminel projet, si je ne rétablissais immédiatement ses affaires par le plus grand sacrifice. Et cependant je n’osais m’y résoudre.

— Oh ! s’écria Lénora avec terreur, mon père, mon père, vous avez refusé ?

Un sourire de bonheur apparut sur le visage du gentilhomme, et au lieu de s’émouvoir de l’exclamation accusatrice de sa fille, son regard s’éclaircit au contraire, son front se redressa digne et fier, et il reprit d’une voix plus ferme :

— Ah ! Lénora, j’aimais mon frère ; mais je t’aimais plus encore, toi, mon unique enfant. Ce qu’on me de-