Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/140

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mandait, c’était la misère pour toi et pour ta mère…

— Mon Dieu ! mon Dieu ! s’écria Lénora avec une impatiente anxiété.

— D’un côté, cette pensée déchirait paon cœur, brisé de l’autre par le spectacle de l’inexprimable désespoir que j’avais sous les yeux. Enfin la générosité l’emporta dans cette lutte suprême. Le jour était venu ; j’allai trouver les principaux créanciers, et je signai de ma main l’écrit qui sauvait l’honneur et la vie de mon pauvre frère, et condamnait en même temps les deux êtres qui m’étaient le plus chers, ma femme et mon enfant, à la dernière misère…

— Merci, mon Dieu ! s’écria Lénora avec joie, comme si elle eût été soudain délivrée d’un pénible cauchemar ; soyez béni, mon père, pour votre bonne et généreuse action !

Elle se leva lentement, passa les bras au cou de son père, et lui donna un ardent baiser, avec une gravité singulière pourtant, comme si elle eût voulu imprimer à ce baiser si plein d’amour quelque chose de solennel.

— Tu me bénis pour, avoir agi ainsi ? dit le gentilhomme avec un regard plein de reconnaissance ; c’est pourtant l’action pour laquelle je dois implorer ton pardon, mon enfant !

— Mon pardon ? s’écria Lénora surprise. Ah ! si vous eussiez agi autrement, combien n’aurais-je pas souffert de douter de la générosité de mon père ! Maintenant je vous aime plus encore qu’auparavant. Pardonner ! Est-ce donc un crime de sauver la vie de son frère lorsqu’on le peut ?