Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/142

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mère succomba peu à peu sous leur poids, et qu’elle tomba dans une maladie de langueur qui ne lui arrachait aucune plainte, mais qui l’épuisait rapidement.

Pénible situation ! Pour cacher notre ruine et sauver le nom de nos pères de l’injure et du mépris, nous devions épargner avec le dernier scrupule l’argent nécessaire pour payer la rente de nos dettes.

Dans l’espace de trois mois, nos gens et nos chevaux disparurent peu à peu ; nous oubliâmes bientôt le chemin qui menait chez nos amis, et nous refusâmes systématiquement toutes les invitations, afin de ne pas être forcés de recevoir quelqu’un à notre tour. Une rumeur d’improbation s’éleva contre nous parmi les habitants du village et les familles nobles avec lesquelles nous étions liés jadis. On disait qu’une ignoble ladrerie nous poussait à vivre dans l’isolement le plus complet. Nous acceptâmes avec joie ce reproche et même la rancune publique qui en fut la suite ; c’était un voile qu’on jetait sur nous et à l’abri duquel notre indigence se dissimulait avec sécurité.

Hélas ! Lénora, je tremble ; mon cœur se serre. Je touche dans mon récit au moment le plus douloureux de ma vie. Aie le courage d’entendre sans pleurer ce que je vais te dire.

Ta pauvre mère était devenue très-maigre ; ses yeux s’étaient enfoncés peu à peu dans l’orbite ; une livide pâleur avait envahi ses joues. En la voyant dépérir, elle que j’aimais plus que la vie, en voyant sans cesse la mort imprimée sur ses traits en signes si clairs et si menaçants, je devins à moitié fou de désespoir et de chagrin.