Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/177

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comme une pauvre esclave, se tue pour avoir un mauvais morceau de pain… J’ai servi aussi, moi, Monsieur ; et je sais ce que c’est que travailler du matin jusqu’au soir pour les autres. Et elle est si belle, si savante, si bonne, si bienfaisante ! C’est terrible ; je ne puis m’empêcher de pleurer quand je songe à sa misérable vie…

Se sentant en effet prête à pleurer, elle essuya deux larmes qui débordaient.

Le jeune homme, ému par le ton sympathique de sa voix, demeurait immobile, les yeux fixés sur la table. La femme reprit d’une voix saccadée :

— Et dire qu’elle pourrait maintenant être si heureuse, qu’elle pourrait redevenir maîtresse du Grinselhof où elle est venue au monde et où elle a grandi, que maintenant monsieur de Vlierbecke pourrait passer ici ses vieux jours sans chagrin et sans inquiétude, tandis qu’ils errent par le monde, ils sont pauvres, malades peut-être, et abandonnés de tout le monde ! Ah ! Monsieur, c’est bien triste de savoir ses bienfaiteurs si malheureux, et de ne rien pouvoir faire pour les secourir que prier le bon Dieu et espérer dans sa miséricorde.

La naïve femme avait sans intention remué dans le cœur de son nouveau maître les cordes les plus sensibles, et l’avait profondément ému ; elle s’aperçut enfin que des larmes silencieuses s’échappaient de ses yeux, et que ses doigts se crispaient convulsivement. Elle reprit avec une certaine anxiété :

— Pardonnez-moi, Monsieur, de vous avoir fait tant de chagrin ; mon cœur en est trop plein : cela déborde, et je parle presque sans le savoir. Si j’ai mal fait, vous