Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/178

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êtes si bon que vous ne vous fâcherez pas de ce que j’aime tant notre demoiselle et que je pleure de la savoir malheureuse. Monsieur n’a-t-il rien à m’ordonner ?

Elle voulut partir ; mais le jeune homme leva la tête, et, comprimant ses larmes, dit d’une voix profondément altérée :

— Moi, fâché contre vous, mère Beth, et fâché parce que vous montrez votre affection pour la pauvre Lénora ? Oh ! non, mon cœur vous bénit au contraire ! Elles me font du bien, ces larmes que vous arrachez de mes yeux ; car je souffre affreusement, ma chère femme, et je suis bien malheureux. La vie me pèse, et si Dieu, dans sa miséricorde, voulait m’ôter de la terre, je mourrais avec joie. Tout espoir de la revoir en ce monde disparaît… peut-être m’attend-elle là-haut dans le ciel !

— Ah ! Monsieur, Monsieur, que dites-vous là ? s’écria la fermière avec terreur. Non, cela ne peut pas être !

— Vous gémissez, bonne femme, et vous pleurez sur elle, poursuivit le jeune homme sans avoir égard à l’interruption ; mais ne comprenez-vous pas que mon âme à moi doit être consumée de regrets et de douleur ? Ne comprenez-vous pas qu’il ne se passe pas un instant dans ma vie où une nouvelle peine ne vienne déchirer mon cœur ? Hélas ! avoir, pendant des mois entiers, imploré de Dieu comme une grâce suprême le bonheur de la revoir ; avoir surmonté tous les obstacles, pouvoir la nommer ma fiancée, pouvoir la rendre heureuse, devenir fou de joie et d’impatience, voler comme l’éclair vers le pays… et pour toute récompense, pour toute consolation, ren-