Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/216

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niers préparatifs du voyage : ils creusent un pain de seigle et le remplissent de beurre. Ils sortent avec les provisions de route et s’arrêtent auprès du jeune homme.

L’étable est ouverte ; le bœuf regarde tristement son maître et pousse par intervalles un mugissement doux et mélancolique ; on dirait que l’animal comprend ce qui va arriver.

Tout est prêt : il va partir. Déjà il a serré la main de sa mère d’une étreinte plus vive et fait un pas en avant ; mais il jette les yeux autour de lui, embrasse d’un regard affectueux l’humble chaumière qui abrita son berceau, la bruyère et les bois témoins de son enfance et les champs arides si souvent fécondés par les sueurs de sa jeunesse ! Puis son œil s’arrête tour à tour sur les yeux de tous ceux qu’il aime, sur les yeux de ce bœuf aussi, le compagnon de ses rudes travaux ; il couvre son visage de sa main, cache les larmes qui coulent sur ses joues, et dit d’une voix presque inintelligible :

— Adieu !

Il relève la tête, secoue l’abondante chevelure qui tombe sur son cou comme une crinière, et marche résolument en avant.

Mais tous le suivent : le moment de la séparation n’est pas encore venu. À une certaine distance dans la direction du village, à l’endroit où les chemins se croisent, s’élève un tilleul auquel est suspendue une sainte Vierge. Trine l’y a placée par un beau soir de mai, et Jean a fait au pied de l’arbre un prie-Dieu en gazon. C’est en ce lieu sacré, où chaque jour quelqu’un d’entre eux venait remercier et prier Dieu, que les paroles déchirantes