Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/220

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— Attendras-tu que Jean revienne de l’armée ? redemanda le jeune homme. Puis-je du moins emporter avec moi cette consolation pour ne pas mourir de chagrin ?

La jeune fille lève vers lui ses grands yeux bleus et lui envoie un long et mélancolique regard qui pénètre son âme comme un rayon de feu, et inonde son cœur d’une félicité inconnue.

Hors de lui pendant un instant, ses lèvres ardentes touchent, sans qu’il sache comment, le front de la jeune fille. Comme effrayé de son audace, il s’écarte d’elle et va s’appuyer au tronc d’un chêne. Devant lui le visage de sa bien-aimée resplendit de tous les feux de la pudeur et du bonheur ; il pose la main sur son cœur qui menace de se briser, tant il bat avec violence ; un inexprimable sourire illumine ses traits ; ses yeux brillent d’une ardeur virile, sa tête est droite et fière ; il semble qu’un seul regard de sa bien-aimée l’ait doué de la force et du courage d’un géant.

Mais une voix connue résonne dans le taillis ; quelqu’un s’approche en chantant une joyeuse chanson…

C’est Karel, qui lui aussi doit partir et se rend au village.

Trine s’efforce de cacher son émotion. Cette surprise l’arrache à son rêve splendide ; elle jette un rapide coup d’œil à son ami et l’engage à se remettre en route, pour que Karel ne les rejoigne pas et qu’un regard étranger ne lise pas ce qui se passe dans leurs âmes.

Mais Karel hâte le pas pour atteindre son compagnon de voyage. Trine s’en aperçoit ; elle dit rapidement :

— Jean, quand tu seras parti, j’aurai soin de ta mère,