Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/237

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peur aussi, parce qu’il y a tant de camarades qui sont devenus aveugles de la même maladie. »

Trine ne put continuer ; elle laissa tomber sa tête sur la lettre fatale et éclata en sanglots, tandis que les femmes et le grand-père déploraient leur malheur à grands cris et avec des larmes amères.

— Ô mon Dieu ! mon Dieu ! mon pauvre enfant ! mon pauvre enfant ! s’écria la mère de Jean en levant les mains au ciel, et en parcourant la chambre avec désespoir. Aveugle ! aveugle !

La jeune fille releva la tête, et dit tout en pleurant :

— Pour l’amour de Dieu, ne faites pas les choses pires encore ; c’est déjà bien assez triste. Laissez-moi continuer ; peut-être ça va-t-il mieux que nous ne le pensons. Taisez-vous un peu, et écoutez :

« Mais dis à ma mère qu’elle ne doit pas être inquiète ; car tout va pour le mieux, et j’espère, si Dieu le permet, que je guérirai. Le pire de tout est encore la faim ; car nous sommes à l’infirmerie à la demi-ration. Le pain et la viande qu’on nous donne pour tout un jour se mettraient en bouche facilement d’un seul coup ; avec cela nous avons une gamelle de ratatouille, sans sel ni poivre, et c’est tout. Vivez de cela quand vous vous portez bien ! C’est pourquoi, mes chers parents, si vous le pouvez, envoyez-moi un peu d’argent. Nous ne touchons pas de paie ici, et nous sommes toute la journée à nous chagriner dans l’obscurité, car nous ne pouvons pas voir de lumière. Des compliments au grand-père, et à Trine, et à sa mère, et à Paul, et je vous souhaite à tous une bonne santé et une longue vie.