Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/239

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d’un bouquet de chênes, elle s’arrêta cachée par le feuillage et s’assit sur la brouette. Elle ouvrit son fichu d’une main tremblante et en tira la lettre. Après l’avoir ouverte, elle épela à haute voix ce qui suit, non sans que son regard fût plus d’une fois obscurci par les larmes :

« Karel a écrit cette lettre aussi ; mais je lui ai dit mot pour mot ce qu’il devait mettre dedans.

« Trine,

« Je n’ai pas osé l’écrire à ma mère, parce que c’est trop terrible. Trine, je suis aveugle, aveugle pour la vie ! Mes deux yeux sont perdus ! Il n’y a pas là sûrement de quoi parler de si grand chagrin ; mais je ne pourrai jamais plus te voir en ce monde, ni ma mère, ni mon grand-père, ni aucun de ceux qui m’aiment ; — j’en mourrai, je le sens bien.

« Trine, depuis que je suis aveugle, je te vois toujours devant mes yeux, et c’est la seule chose qui me retienne encore à la vie ; mais je ne dois plus penser à cela, ni toi non plus. Ah ! ma chère amie, va à la kermesse comme avant, ne laisse pas cela pour moi et profite de ton jeune temps ; car si tu devais être malheureuse à cause de moi, je serais encore plus tôt couché sous la terre.

« Trine, je t’ai écrit cela à toi seule pour que tu le fasses savoir petit à petit à ma pauvre mère. Que ça ne lui vienne pas d’ailleurs, pour l’amour de Dieu, Trine !

« Ton malheureux Jean jusqu’à la mort. »