Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/25

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

longtemps. C’est fini, il fallait bien que cela arrivât enfin !

— Qu’est-ce donc, à mon Dieu, qu’as-tu ?

L’ouvrier, dans le cœur duquel une lutte suprême venait de s’achever, se calma subitement, et comprenant l’anxiété qu’avaient causée à son excellente femme ses exclamations, il lui prit la main et dit avec abattement :

— Thérèse, tu le sais, femme, depuis que nous sommes mariés, j’ai toujours travaillé ; jamais je n’ai laissé passer un jour sans pourvoir à tes besoins et à ceux de nos enfants. Faut-il donc, après dix années de rude travail, être réduit à mendier ? Faut-il que ce pain toujours gagné à la sueur de mon front, j’aille maintenant le demander de porte en porte ? Thérèse, je ne pourrais le faire, dussions-nous mourir tous de besoin et de misère. Vois-tu, je rougis de honte quand j’y pense. Mendier ? Non, il nous reste quelque chose qui nous donnera du pain pour quelque temps. Cela me fait peine, femme, mais je vais faire vendre notre bac à moules au marché du vendredi. Peut-être aurai-je de l’ouvrage pendant le temps que ce peu d’argent nous soutiendra ; nous épargnerons alors pour acheter un nouveau bac. Attends encore une petite demi-heure, et je vous apporterai à tous de quoi manger.

Le bac à moules était l’unique instrument au moyen duquel le brave ouvrier pouvait gagner son pain : il n’y avait donc rien d’étonnant à ce qu’il prît avec tant de tristesse la résolution de le vendre ; la femme ne fut pas moins affligée que lui par ce projet extrême ; mais son cœur maternel la pressait de venir au secours de ses en-