Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/255

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Un cri perçant et douloureux échappa à la jeune fille ; elle porta son tablier à ses yeux, et reprit en pleurant convulsivement :

— Seigneur, mon Dieu ! avoir marché et souffert pendant quatre jours, et ne pas même pouvoir le voir ! Si c’est comme ça, je ne partirai pas vivante d’ici : soyez-en sûr.

— Trine, il ne faut pas pleurer ainsi dans la rue, dit Kobe, ou les gens viendront s’attrouper autour de nous. Soyez calme…

La jeune fille, était-ce courage ou désespoir ? essuya ses larmes, et s’écria :

— Quand je devrais entrer dans cette maison comme un voleur, quand un sabre devrait me percer le cœur, je le verrai, et je lui parlerai… Empêchez-m’en si vous le pouvez !

— Écoutez, chère Trine, dit le caporal avec douceur, j’y perdrai peut-être mes galons, mais je vous aiderai. Tenez-vous tranquille et faites comme si vous ne saviez rien. Bientôt le sergent ira au rapport chez le commandant de place ; la visite du docteur est déjà faite et le directeur ne se porte pas bien : il ne viendra pas dans les salles. Quand le sergent sera parti, je vous mènerai tout doucement dans la chambre des aveugles. Mais, Trine, si je suis mis au cachot et que je perde mes galons ; dites bien à ma mère et à Charlotte que c’est par amitié et par compassion…

— Soyez sûr, Kobe, répondit la jeune fille les yeux humides, soyez sûr que je vous en serai reconnaissante toute ma vie ; laissez-moi faire, j’arrangerai tout pour