Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/257

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lugubre si l’on voulait distinguer quoi que ce fût. En outre, bien que ce lieu fût habité par des malheureux souffrant d’indicibles douleurs, il y régnait un profond silence, qu’interrompait seul de temps eh temps un gémissement arraché par le brûlant contact de la pierre infernale avec les yeux malades.

Les aveugles étaient assis le long des murs, sur des bancs de bois ; semblables à une réunion de spectres, ils se tenaient immobiles et muets dans l’ombre. Chacun d’eux portait une longue visière verte, nouée sur le front et abaissée devant la figure de telle façon qu’on ne pouvait voir les traits d’aucun.

Dans le coin le plus reculé était assis Jean Braems, la tête courbée sur les genoux, et rêvant douloureusement aux choses qu’il aimait et qu’il ne devait jamais revoir. Son âme était dans la contrée lointaine où demeuraient ses parents et ses amis. Parfois, sous la visière verte, un doux sourire se jouait sur sa bouche, et ses lèvres remuaient comme s’il eût conversé avec des êtres invisibles. En cet instant même il avait évoqué du fond des souvenirs l’image de sa bien-aimée, il l’avait forcée à murmurer encore à son oreille le timide aveu de son amour, quand tout à coup un bruit presque imperceptible se fit entendre sur l’escalier. Il sembla à Jean que son nom avait été prononcé. Quoi qu’il en fût, le jeune homme tremblant se leva brusquement comme frappé d’un choc invisible, et sa bouche dit en soupirant sans qu’il le sût :

— Trine ! Trine !

La porte s’ouvrit du dehors, et la jeune fille apparut