Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/258

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avec le caporal sur le seuil de la chambre. Elle frémit d’épouvante quand sa vue tomba dans la salle obscure et lorsqu’elle aperçut ces ombres semblables à des fantômes et dont le visage était caché par les visières vertes comme par un masque. Elle recula en poussant un cri aigu ; mais sa voix avait frappé l’oreille de Jean Braems ; il marcha vers elle les mains en avant, tâtonnant et cherchant. Elle reconnut son malheureux amant, s’élança vers lui avec un gémissement déchirant, et noua avec une force fébrile ses deux bras au cou de l’aveugle.

D’abord, on n’entendit rien que les noms de Trine et de Jean répétés sur les différents tons de l’amour, de la pitié et de la tristesse. La jeune fille pleurait, appuyée sur le sein du soldat ; puis elle parut près de s’évanouir d’émotion, car sa tête s’inclina de côté, et ses bras dénoués s’affaissèrent sur les épaules de son malheureux ami.

Sur ces entrefaites, les autres aveugles étaient venus former cercle autour de la jeune fille, et interrogeaient ses vêtements de la main, comme s’ils eussent aussi voulu la reconnaître. Ces attouchements la rappelèrent à elle-même. Elle tira Jean en arrière, et dit avec effroi :

— Mon Dieu ! cher Jean, qu’est-ce que cela veut dire ! Dis-leur donc de me laisser tranquille, ou je n’oserai pas demeurer ici davantage.

— N’aie pas peur, Trine, répondit Jean, ce n’est rien. Les aveugles voient avec les doigts. Ils tâtent tes habits pour savoir de quel pays tu es. C’est sans mauvaise intention.