Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/262

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cable dessein, s’arracha à son étreinte, courut, en poussant un cri de désespoir, vers Jean, et l’enlaça dans ses bras en se répandant en plaintes déchirantes. Le jeune soldat, toujours triste, mais convaincu que rien ne pouvait empêcher la séparation, essaya de la consoler, et lui dit à la hâte bien des choses oubliées dans l’entretien.

Mais déjà le sergent avait rejoint et ressaisi la jeune fille. Il la prit par les épaules et voulut la séparer de Jean ; mais les bras de Trine éplorée se tinrent attachés au corps de l’aveugle comme un lien de fer, et elle résista aux efforts du sergent furieux. Celui-ci cria à Kobe, qui se tenait tout consterné près de la porte :

— Caporal, pourquoi restez-vous là ? Ici ! Je vous ordonne de jeter vous-même cette paysanne à la porte : obéissez, sinon vous le paierez cher… Faisons vite !

Kobe s’approcha de la jeune fille, et, la prenant par le bras, lui dit :

— Chère Trine, cela me fait peine ; mais rien n’y peut aider. Allez-vous-en tout doucement, autrement on vous jettera en bas des escaliers. C’est la consigne, et il faut bien que le sergent fasse son devoir.

Trine lâcha son ami, et, levant la tête avec une calme dignité, elle alla au sergent, et pleurant toujours amèrement :

— Monsieur l’officier, dit-elle, je m’en irai ; mais pardonnez-moi, mon ami, et pardonnez aussi à Kobe. Dieu vous en récompensera, bien sûr ; car c’est une bonne action… Vous avez tout de même un cœur aussi, et tous les hommes sont frères dans le monde. N’est-ce pas, monsieur le sergent, que vous serez assez bon pour tout