Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/266

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me trompant, me perdant ; j’ai enduré affronts et peines, allant nuit et jour, presque sans manger ni boire, si bien que le sang coulait de mes pieds. Après avoir langui trois jours comme un agneau perdu, j’arrive ici ; un garçon de notre village, qui est caporal, me laisse entrer par pitié. Je vois notre Jean les yeux morts ; je veux le consoler, — et voilà que le sergent vient et me chasse ! Et maintenant je ne puis plus voir Jean ; je dois le quitter, pauvre garçon, et l’abandonner sans consolation. Oh ! madame, cela ne peut pas être, bien sûr ! Songez, je vous en prie, à tout ce que j’ai supporté pour venir Jusqu’ici, et ayez pitié de cet innocent agneau qui souffre et languit dans l’obscurité !

— Est-il votre frère ? demanda l’officier derrière son pupitre.

La jeune fille pencha la tête pour cacher la pudique rougeur qui, à cette question, vint colorer son visage.

Après un court silence, elle releva les yeux et répondit :

— Monsieur, je ne suis pas sa sœur ; mais depuis le temps où nous étions enfants nous demeurons sous le même toit ; ses parents sont les miens ; il aime ma mère ; son grand-père m’a porté dans ses bras quand je ne savais pas encore marcher ; travail et gain, joie et chagrin, tout est commun entre nous.

Après une pause, son regard se fixa sur le parquet, et elle murmura :

— Depuis qu’il est malheureux, je sens bien aussi que je ne suis pas sa sœur…

L’officier, ému par les paroles de la jeune fille, avait