Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/27

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en temps, l’homme attristé frappait du pied le sol, comme s’il eût été assailli de préoccupations pénibles ; mais chaque fois il retombait dans un morne désespoir, quand son regard s’abaissait sur l’instrument qui jusque-là lui avait servi à gagner, en brave ouvrier, son pain de chaque jour.

Tandis qu’il était enfoncé dans ses désolantes réflexions, deux jeunes dames arrivaient d’un pas rapide sur le marché : l’une d’elles remarqua la douloureuse expression des traits de l’ouvrier, car elle arrêta sa compagne au coin de la ruelle du Faucon et lui dit :

— N’avez-vous pas vu, Adèle, quelle tristesse est empreinte sur le visage de cet homme ?

— De quel homme, ma chère Anna ?

— De celui qui frappe du pied. Voyez comme ses coudes se contractent contre son corps. Bien sûr, Adèle, c’est un malheureux…

— Peut-être, Anna ; Dieu sait si ce ne sont pas des mouvements de colère.

— Non, Adèle, je connais cela trop bien. Le malheur véritable porte une empreinte qu’on ne peut méconnaître. Il attire à lui les cœurs généreux et éveille en eux une douce émotion de pitié. La méchanceté et la colère repoussent, au contraire, ceux qui en sont témoins. Je ne me suis pas trompée, ma chère amie, cet ouvrier est une victime de ce long hiver. Vois, ses vêtements ne sont ni sales ni déchirés ! Allons à lui ; je me sens la force de lui demander la cause de son chagrin.

Les deux amies se dirigèrent vers l’ouvrier ; mais, au moment où elles s’approchaient de lui, il fut précisé-