Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/276

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supposition dut être aussi celle de la jeune fille ; car bien que sa physionomie s’assombrit tout à coup, elle dit d’une voix enjouée comme pour arracher son compagnon au chagrin qui l’oppressait :

— Ô Jean, demain soir nous serons à la maison ! Ce sera une kermesse ! Ta pauvre mère, qui pense que tu es toujours à gémir dans ce noir hôpital, comme elle t’embrassera avec joie ! Et Paul, qui pleurait tant quand tu es parti pour les soldats, il va joliment danser, le brave enfant ! Et ma mère, et le grand-père ! Il me semble déjà que je les vois accourir les bras ouverts… Et le bœuf, quand il t’entendra, la pauvre bête ira au travail comme une personne ; car je voyais encore tous les jours dans ses yeux qu’il ne t’a pas oublié… Le grand-père tuera bien vite le lapin gras, et tous ensemble nous ferons bombance comme des rois. Ah ! je voudrais déjà y être !

Tout en parlant, la jeune fille se retournait souvent pour regarder l’aveugle qui la suivait en tenant le bâton protecteur, et pour épier sur sa physionomie l’effet de ses paroles. Un sourire incertain fut le seul changement qu’elle y aperçut. Cependant, cet indice, quelque minime qu’il fût, lui donna du courage, et bien que le jeune homme n’eût pas répondu, elle reprit :

— Et quand nous serons chez nous, Jean, je serai toujours auprès de toi et ne te quitterai jamais. J’achèterai des chansons et les apprendrai pour te les chanter le soir au coin du feu ; quand j’irai travailler aux champs, tu viendras toujours avec moi ; nous causerons ensemble pendant le travail, et ce que tu ne sauras pas voir, je te le ferai toucher avec les mains. Ainsi, tu sauras aussi