Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/277

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien que moi comment vont les moissons ; tu les verras pousser en esprit. Je te conduirai à l’église, et le dimanche soir j’irai boire avec toi une pinte de bierre à la Couronne pour que tu entendes causer les amis. Ce sera comme si tu n’étais pas aveugle ! Que dis-tu de cela ? Ce sera encore bien beau, n’est-ce pas ?

— Chère Trine, ta voix est si douce qu’elle fait battre mon cœur… Quand j’entends tes chères paroles, c’est comme si mon ange gardien marchait devant moi ; je te vois sous mes yeux ; tu as des ailes, ton corps brille comme le soleil. Je crois que le bon Dieu laisse voir à mes yeux aveugles comment tu seras un jour récompensée dans le ciel de ton incompréhensible bonté !

— Ah ! Jean, il ne faut pas parler ainsi ! répliqua la jeune fille. Je ne demande qu’une seule récompense pour ma peine, c’est que tu ne sois plus si triste. Hier, tu étais bien plus gai qu’aujourd’hui.

L’aveugle lâcha le bâton pour saisir la main de la jeune fille et marcher à côté d’elle.

— Trine, dit-il, hier j’étais si joyeux de retourner à la maison !… Mais depuis ce matin, et tandis que je dormais là-bas, la vérité s’est montrée à moi ; maintenant quelque chose tourmente mon cœur, je ne dois pas te le cacher. Dieu me punira si je songe encore à ton amour.

— Mais, Jean, qu’as-tu donc en tête ? Tu me rends si triste que je ne sais presque plus avancer. Dis-moi ce que tu as sur le cœur ; je gage que ce sont des idées !

— Parlons-en tranquillement, Trine, reprit le jeune homme d’une voix altérée ; tu es belle, forte, bonne de cœur, habile à tous les ouvrages… et tu sacrifierais