Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/278

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ta jeunesse par amour et par pitié pour un malheureux aveugle ? Et quand nos parents seront au cimetière, tu seras vieille, seule au monde et délaissée à cause de moi ?

La jeune fille, émue par l’accent déchirant de la voix de Jean, se mit à pleurer amèrement ; l’aveugle ne s’en aperçut point et poursuivit :

— Trine, je me souviendrai jusque sur le lit de mort de l’instant où nous primes congé l’un de l’autre ; j’ai compris ce que disaient tes beaux yeux bleus, et cela m’a rendu heureux dans toutes mes douleurs. Même alors que le docteur brûlait mes yeux avec la pierre infernale, et que la souffrance m’arrachait des cris, tu étais devant moi, la même rougeur sur le front, et je sentais encore ta main trembler dans la mienne. Ah ! si le bon Dieu m’avait seulement laissé un œil pour que je pusse gagner notre pain de chaque jour, je serais tombé à genoux, Trine, pour te demander une chose qui nous aurait réunis pour toujours : je me serais épuisé jusqu’à la mort pour te récompenser dignement de ta bonté. Maintenant, cela ne peut plus être.

— Pour l’amour de Dieu, Jean, s’écria la jeune fille avec désespoir, que dis-tu là ? Est-ce pour me tourmenter ? Je ne te comprends pas. Que te resterait-il donc sur la terre ?

— Le chagrin… et la mort, dit le jeune homme en soupirant profondément.

— Mourir ? dit amèrement la jeune fille. Et tu penses sans doute que je vais te laisser mourir ? Que signifie cela ? parle plus clairement : je ne puis supporter tes paroles, que je ne comprends pas… et je ne veux pas