Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/279

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continuer la route ainsi. Assieds-toi un instant au bord du chemin, jusqu’à ce que ces vilaines choses soient sorties de ta tête.

La jeune fille, guidant l’aveugle, alla s’asseoir avec lui sur le maigre gazon qui bordait le chemin, et jeta le sac à terre.

— Voyons, Jean, dit-elle, dis-moi une bonne fois ce que tu t’imagines.

— Ô ma chère Trine, tu me comprends bien, répondit le soldat. Tu veux renoncer à ta jeunesse pour moi. Puis-je demander que tu me sacrifies ta vie entière par pure bonté ? La seule pensée que tu veuilles le faire déchire mon cœur. Tu veux me voir consolé et joyeux ; eh bien, promets-moi que tu ne seras jamais pour moi rien de plus qu’une sœur, que tu iras aux kermesses comme autrefois, et que tu seras aimable pour les autres jeunes gens, autant que l’honnêteté le permet…

La jeune fille éclata en sanglots et répondit en versant un torrent de larmes :

— Jean, Jean, comment se peut-il que tu sois si cruel ? tu tortures mon cœur comme un bourreau. Voilà ce que me vaut ma bonté : Va chercher d’autres jeunes gens ! En quoi ai-je mérité cela, et quel mal t’ai-je fait ?

Jean chercha la main de la jeune fille, et la saisissant, il dit d’une voix douce et triste :

— Ah, Trine, tu ne veux pas me comprendre. Eussé-je dix yeux, je me les laisserais brûler tous pour pouvoir t’aimer sans te faire souffrir ! Et pourtant être aveugle, c’est là un martyre que personne ne peut comprendre tant qu’il voit le jour… Mais Dieu me punirait,