Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/280

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bien sûr, si je consentais à ce que tu me donnes ta vie…

— Et si je suivais ton méchant conseil, tu m’oublierais aussi, n’est-ce pas ?

— T’oublier ? dit l’aveugle en soupirant, il fait toujours nuit pour moi. Je dois toute ma vie penser et rêver. À qui et de quoi serait-ce, sinon de ta bonté pour moi et de ce que tes yeux me disaient lors de la séparation ?

— Et tu aimerais toujours Trine, quand même elle ferait selon ton désir ?

— Toujours, jusqu’à la mort !

La jeune fille essuya ses yeux. Une tout autre expression se peignit sur son visage ; avec un mouvement d’orgueil et de joyeux courage elle s’écria :

— Et je t’abandonnerais, moi ? j’irais avec d’autres jeunes gens à la kermesse, à la danse, tandis que toi, seul des semaines entières dans le coin du foyer, tu gémirais et tu penserais à moi ! Jean, je ne sais comment tu oses songer à de pareilles choses ! Sois sûr que si ce n’était toi, j’en serais toute en colère. Crois-tu donc que je n’ai pas de cœur et que j’irais te laisser languir ainsi ? Non, non, tu m’as aimée quand tu avais encore tes deux yeux noirs, et moi je continuerai à t’aimer, pauvre Jean, bien que tu aies perdu la vue ! Et ne me parle plus des autres jeunes gens : cela me fait une grande peine ; car c’est comme si tu ne te souciais plus de moi… Quand j’y pense, les larmes coulent sur mes joues…

Jean, muet d’admiration, serra les mains de la jeune fille d’une étreinte reconnaissante. Après un instant de silence, il murmura :