Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/281

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— Trine, tu es un ange sur la terre ; je le sens bien, toi seule peux me faire oublier ce que Dieu m’a enlevé ; mais cela ne peut pas être.

— Oui, répliqua la jeune fille, je te comprends ; tu veux dire que j’entrerai dans la confrérie de sainte Anne[1] : ce n’est pas vrai ; je ferai un heureux mariage, et je me marierai avant les semailles d’hiver, voilà !

— Te marier ? soupira le soldat avec une tristesse comprimée : Ô Trine, je vois clair maintenant… Fasse Dieu que ton mari t’aime comme tu le mérites ! Ah tu vas te marier ! Avec qui ? Est-ce un camarade du village ?

— Jean, tu perds l’esprit ! s’écria la jeune fille d’une voix si éclatante, que le bois de sapins qu’ils traversaient eu renvoya l’écho. Je vais me marier. Tu demandes avec qui ? — Avec toi !

— Dieu ! avec moi ? avec un aveugle !

— Avec toi, avec celui qui donnerait dix yeux pour pouvoir m’aimer !

— Oh, merci, merci pour ta bonté sans pareille… Sois bénie pour tant d’amour, mais…

Trine lui mit la main sur la bouche, et étouffa le mais en disant d’un ton de triomphe :

— Tais-toi ! tu as parlé bien sérieusement tout à l’heure, et en t’écoutant je sentais mon cœur se briser dans ma poitrine… À mon tour de parler maintenant ! Si par malheur Trine était devenue aveugle, aurais-tu repoussé la pauvre fille ? Et si elle avait continué de t’ai-

  1. Coiffer Sainte Catherine, entrer dans la confrérie de Sainte-Anne, expressions synonymes qui signifient rester vieille fille.