Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/282

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mer dans son misérable état, lui aurais-tu donné le coup de mort en aimant les autres filles ? Eh bien, réponds-moi donc !

— Je n’ose pas.

— Il le faut ! et il faut parler franc, Jean !

— Ah, Trine ! j’aurais fait ce que tu fais maintenant ; et pourtant cela ne peut pas être, ma bonne amie. Qu’est-ce que les gens diraient de moi ?

— Cela sera ! dit la jeune fille avec résolution ; voici ma main. Que Dieu en soit témoin en attendant que le prêtre prie sur nous !

En entendant ces paroles, le soldat couvrit son visage des deux mains, et sa tête s’inclina lentement sur le sein de la jeune fille ; il faillit s’évanouir d’émotion et demeura sans parole, lorsque Trine s’écria avec enthousiasme :

— Les gens ! celui qui fait bien n’en doit pas avoir honte. Et quand j’irai avec toi à l’église pour dire le oui devant l’autel, je lèverai fièrement la tête et songerai que Dieu sait là-haut ce qui est bien et ce qui est mal… Et laisse-moi faire : je montrerai ce qu’on peut quand la force ne manque ni au cœur ni aux bras. Nous ne manquerons de rien, cher Jean ; Trine y veillera, et elle demeurera toujours près de toi, te consolant, t’aimant, te mettant en joie, jusqu’à ce que la mort nous sépare ; et nous continuerons de vivre avec nos parents, le grand-père et le petit Paul, paisiblement et heureusement, comme autrefois. N’est-ce pas bien ainsi ?

Le soldat aveugle baisait ses mains en pleurant et en sanglotant. Il murmura bien encore quelques paroles