Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/288

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— Tu n’as qu’à dire quand tu seras las. Maintenant, taisons-nous ; autrement tu te fatiguerais plus tôt…

Cependant le soleil s’élevait au-dessus de l’horizon et commençait à verser sa lumière comme un torrent de feu sur la bruyère. La chaleur devint si ardente, que la sueur coulait à grosses gouttes sur le visage des deux voyageurs haletants. Toutefois le soldat ne se plaignait plus de la fatigue et marchait courageusement derrière sa conductrice. Il n’avait rompu le silence que pour dire que ses yeux le faisaient souffrir, comme si le brûlant éclat du soleil en eût accru l’inflammation.

Après une grande heure de marche, la jeune fille s’arrêta brusquement sans dire un mot à l’aveugle. Celui-ci fut surpris de l’incident :

— Trine, dit-il, que vois-tu donc que tu t’arrêtes ainsi tout d’un coup ?

— Jean, répondit Trine avec une certaine tristesse, j’ai fait du beau ! Dieu sait combien nous sommes loin de notre chemin ; nous voici devant un large ruisseau qui coupe toute la bruyère, et je ne vois nulle part de pont pour passer outre…

— C’est fâcheux, dit Jean avec un soupir, je suis si las. L’eau est-elle profonde ?

— Oh ! non, je te l’ai dit, c’est un large ruisseau ; je vois très-bien le fond : on en aurait jusqu’aux genoux.

— Eh bien, Trine, essayons de passer ; cela nous épargnera la peine de retourner sur nos pas.

— C’est impossible, Jean, les bords sont trop hauts ; tu ne saurais ni descendre, ni remonter… Allons, pourtant, faisons de nécessité vertu !