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VII


Vers la fin de l’après-dîner, Trine et son ami cheminaient dans la bruyère au delà de Casterlee, où ils avaient franchi la Nèthe. Tous deux étaient silencieux et tristes ; mais aucun n’avait révélé à l’autre les pénibles dispositions de son âme : au contraire, dans les rares paroles qu’ils échangeaient, ils s’efforçaient de paraître gais l’un à l’autre.

Et cependant un amer et cruel désenchantement avait peu à peu envahi leur cœur.

Depuis qu’ils s’étaient remis en voyage, Trine avait lavé cinq ou six fois déjà les yeux du soldat ; elle ne passait auprès d’aucune source sans essayer si elle ne possédait pas la merveilleuse vertu du premier ruisseau. Hélas ! ses soins dévoués étaient pour elle-même et pour le malheureux jeune homme une source de désespoir et de douleur.

Soit que le soldat se fût trompé en effet lorsqu’il avait cru voir sa compagne, soit que la fraîcheur de l’eau et le frottement du linge sur les yeux eussent augmenté l’inflammation, toujours est-il qu’il ne voyait plus rien, si souvent qu’il s’efforçât d’apercevoir la silhouette de son amie. Il finit même par ne plus pouvoir supporter la lumière, et il fermait les yeux avec de vives souffrances chaque fois que Trine détachait la visière de son front.

Ainsi se forma irrésistiblement dans l’âme de tous deux la terrible conviction qu’une illusion cruelle les avait égarés, et que la cécité était complète et incurable.