Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/296

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L’espoir, heureuse incertitude, demeurait bien au fond de leur cœur, mais il ne pouvait qu’illuminer de temps en temps d’un rayon fugitif leur morne découragement, et leur douleur n’en était que plus cuisante et plus profonde.

Une autre cause portait aussi leur âme au chagrin et à la tristesse. Depuis le matin ils avaient déjà fait huit lieues, et étaient extrêmement las. L’aveugle, surtout, qui trébuchait souvent dans }e chemin était harassé et épuisé. Sans sentiment, plongé dans un mortel anéantissement, se retenant machinalement au bâton, il se traînait derrière son amie, le corps penché en avant, allant comme une machine inanimée. Ses pieds étaient blessés, et s’il n’eût pas perdu toute conscience de son état, il aurait senti le sang qui coulait brûlant de son talon droit dans le soulier.

Trine n’était pas moins fatiguée ; cependant elle continuait à marcher sans dire un mot, et même sans regarder le soldat. La pauvre fille n’osait parler. Son cœur n’avait plus de consolation à donner : la séduisante vision s’était évanouie, l’espoir du bonheur avait disparu. Une joie indicible l’avait pour ainsi dire mise hors d’elle, lorsque le riant avenir s’était montré à ses yeux ; mais précisément à cause de cela, la déception était mille fois plus pénible et la courbait maintenant comme un esclave, quelque courageuse qu’elle fût, sous le poids d’un immense découragement. Et puis qu’eût-elle pu dire à son ami pour l’arracher à son désespoir ? Lui parler de ses yeux et mentir à ses propres convictions ? elle ne le pouvait pas ; c’eût été briser à la