Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/297

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fois le cœur de Jean et le sien par une amère ironie !

Voilà pourquoi elle marchait muette et à pas pesants, abîmée dans ses réflexions désespérées, et sachant à peine où elle en était.

Après une grande demi-heure du plus profond silence, le soldat dit tout à coup en respirant péniblement :

— Trine, arrête ! Je n’en puis plus !

— Je suis à bout aussi, répondit Trine sans se retourner ; nous allons nous reposer un peu, et nous passerons la nuit dans ce village là-bas.

— Ah ! n’allons pas plus loin ! dit l’aveugle d’une voix suppliante.

— Nous sommes près d’un jardin ; encore vingt pas, Jean ; il y a une belle haie de hêtre. Nous serons assis à l’ombre.

— Pour l’amour de Dieu, va donc vite !

Elle le prit par la main, le conduisit jusqu’à la haie, à laquelle elle lui fit tourner le dos, et l’aida à s’asseoir.

Le jeune homme s’affaissa lourdement sur le gazon et pencha la tête sur la poitrine…

Derrière l’endroit où s’étaient arrêtés le soldat et sa compagne, la haie était arrondie en berceau et recourbée vers l’intérieur du jardin. Dans ce berceau était assis un monsieur tenant un livre à la main. Il devait être très-âgé, car son visage était creusé de rides profondes, et les rares cheveux qui ceignaient encore son crâne comme une couronne étaient aussi blancs que la neige. Une redingote boutonnée jusqu’au menton et le ruban rouge d’un ordre sur la poitrine lui donnaient l’air d’un officier en retraite.