Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/299

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Quelques moments s’écoulèrent sans que la jeune fille rompît encore le silence ; elle en vint peu à peu à penser que c’était plutôt la tristesse que la fatigue qui accablait son ami. Dans sa générosité, elle comprima sa propre douleur pour rendre au pauvre aveugle des émotions consolantes, et lui dit d’une voix enjouée :

— Jean, tu es bien sûr de m’avoir vue, n’est-ce pas ? Cela me fait penser qu’il doit encore y avoir de la vie dans ton œil gauche, quoique tu sois encore une fois tout à fait aveugle. Cela vient de la chaleur qui a enflammé tes yeux. Prends patience jusqu’à ce que nous soyons à la maison ; nous vendrons un peu de grain nouveau et nous ferons venir le docteur de Wyneghem. Celui-là te guérira bien ; il a fait tant d’autres miracles avec des gens qui étaient aussi bien que morts. Et pense un peu, Jean, demain nous serons près de ta mère, du grand-père, de Paul ; alors je te conduirai dire bonjour à tous les amis… Quand tu seras bien reposé, tes yeux ne te feront plus mal et tu verras encore un peu… Et puis, nous irons tous ensemble prier sous le tilleul et remercier la sainte Vierge de sa miséricorde ; car, n’en doute pas, Jean, elle m’a exaucée et elle te… Qu’est-ce que cela ? Je vois du sang sur ton bas ! Ah ! mon Dieu ! et tu n’en dis rien, pauvre agneau !

Elle s’empressa de lui ôter soulier et bas et se mit à étancher avec son fichu blanc le sang qui coulait du pied. Elle songeait à lui dire que ce n’était qu’une légère blessure ; mais à peine eut-elle levé les yeux, qu’elle se prit à trembler comme une feuille et demanda avec angoisse :