Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/308

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— Vous dites avoir vu que votre amie porte un mouchoir rouge. Cela me semble impossible. Ne vous trompez-vous pas ?

— Je ne vois encore rien qu’une ombre grise, répondit le soldat, mais quand je commençais à devenir aveugle, j’ai remarqué que le rouge, dans l’obscurité, paraît plus foncé que les autres couleurs. Voilà pourquoi je sais que le mouchoir est rouge.

— Je le pensais bien, dit le médecin ; maintenant nous allons procéder avec prudence.

Et se tournant vers le domestique, il lui dit :

— Karel, menez le camarade à la cuisine et faites-lui manger un peu de viande et de pain : demi-ration, pas davantage ! Après cela vous le conduirez dans le petit cabinet et le ferez coucher : il a besoin de repos. Dites aussi à la servante qu’elle apporte à manger à cette bonne fille.

Dès que le domestique et le soldat eurent passé la porte, Trine tomba aux pieds du vieillard en sanglotant tout haut ; elle embrassa ses genoux sans pouvoir proférer une parole et en pleurant abondamment. Il voulut la relever, mais elle lui résista ; et levant vers lui ses beaux yeux bleus tout humides, elle s’écria :

— Monsieur, monsieur ! Dieu vous bénira d’avoir eu tant de bonté pour de pauvres paysans comme nous. Je ne puis vous dire tout ce que je sens ; mais je mourrais volontiers dix ans plus tôt pour que vous viviez d’autant plus longtemps. Et si vous voulez bien guérir les yeux de Jean, comme un bon ange de Dieu que vous êtes, nous prierons tous pour vous tous les jours, et nous