Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/325

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Il prit une main de chacune d’elles et dit :

— Ce que je fais est bien étrange, n’est-ce pas, mes enfants ? Vous ne pouvez comprendre pourquoi la voix du vieux coucou m’a troublé ainsi ? Ah ! c’est que moi aussi j’ai été enfant !… alors mon père, le dimanche après vêpres, venait boire sa pinte de bière ici. Quand j’avais été sage, je l’accompagnais… Je demeurais alors pendant des heures épiant le coucou bien-aimé chaque fois qu’il ouvrait sa petite porte ; je dansais, je sautais en mesure sur son chant, et dans mon imagination d’enfant j’admirais le pauvre oiseau comme un chef-d’œuvre d’art ; et la sainte Vierge que l’une de vous a brisée, je l’aimais parce qu’elle avait un si beau manteau bleu, et parce que son petit Jésus me tendait la main et souriait à mon sourire… Aujourd’hui l’enfant a près de soixante ans, ses cheveux sont blancs, ses traits flétris… Il a passé trente-quatre ans dans les déserts de la Russie… Et cependant il se souvient de la sainte Vierge et du coucou, comme si un seul jour s’était passé depuis que la main de son père l’a conduit ici pour la dernière fois.

— Êtes-vous donc de notre village ? demanda Zanna.

— Ah oui ! répondit le voyageur avec une joyeuse effusion ; mais l’effet de cet aveu ne fut pas tel qu’il l’avait attendu. Un sourire plus affable anima les traits des jeunes filles, mais ce fut tout ; elles ne parurent ni surprises ni réjouies par la révélation du voyageur.

Celui-ci s’adressa à la mère :

— Mais où donc est le vieux Baes[1] Joostens ?

  1. Le mot baes signifie proprement maître ; les Flamands l’emploient habituellement pour désigner le chef de la maison, et surtout le maître d’une auberge ou d’un estaminet.