Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/329

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à-dire que nous étions toujours en lutte et en querelle : histoire d’amour ! Je me souviens entre autres qu’un jour, en nous battant, je le jetai du haut du pont de Kalver-Moeren dans le ruisseau, et cela si bien qu’il faillit s’y noyer ; mais il y a plus de trente ans de cela. Laurent sera bien content de me revoir. Allons, père Joostens, donnez-moi une poignée de main ! Je viendrai souvent boire une pinte ici.

Il paya, prit sous le bras sa valise, et sortit. Derrière l’auberge, il s’enfonça dans un sentier qui traversait une jeune sapinière.

Quelque peu agréables que fussent les renseignements du paysan, ils avaient néanmoins consolé et réjoui le cœur du voyageur. De douces émanations des années écoulées s’élevaient autour de lui, et il se sentait revivre sous le flot de souvenirs qui surgissaient à chaque pas dans son âme. Cependant le jeune bois qui l’entourait de toutes parts ne lui disait rien. Jadis à cette même place s’étendait une haute forêt de sapins dont les branches portaient mille nids d’oiseaux, et au pied desquels mûrissaient en abondance les fruits rafraîchissants du mûrier sauvage. Mais la forêt avait eu le même sort que les habitants du village ; les vieux arbres avaient été abattus par le temps ou par la cognée ; une nouvelle génération avait déjà pris leur place. Celle-ci était donc étrangère et indifférente au voyageur. Mais le chant des oiseaux qui résonnait de tous côtés sous le feuillage était encore le même ; le murmure plaintif du vent dans les rameaux, le cri grêle du grillon, la senteur suave et embaumée des bruyères, tout cela était comme jadis : les êtres