Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/332

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seuls le vieillard qui revient comme une ombre des temps qui ne sont plus ! Et Rosa, ma bien-aimée Rosa ! vit-elle encore ? Peut-être ! Elle doit être mariée : elle a des enfants sans, doute. Ceux qui demeurent oublient toujours le malheureux qui va souffrir loin de la terre natale…

Un sourire ironique plissa ses lèvres.

— Pauvre pèlerin, la jalousie s’éveille en toi comme si ton cœur était encore dans son printemps ! Le temps des amours est pourtant passé depuis longtemps ! Bah ! ce n’est rien… Si seulement elle me reconnaît, si elle se souvient encore de notre ardente affection, alors, ô mon Dieu, je ne regretterai pas mon voyage de six cents lieues et je descendrai consolé dans la tombe, au milieu de mes parents et de mes amis…

Un peu plus loin et aux approches du village, il entra dans une auberge qui portait pour enseigne une charrue, et demanda à l’hôtesse un verre de bière.

Au coin du foyer, près de la grande marmite du bétail, était assis un homme très-âgé qui, immobile comme une statue de pierre, semblait contempler le feu.

Le voyageur reconnut le vieillard avant que la femme ne fût revenue de la cave. Il rapprocha précipitamment sa chaise, et lui prit la main en disant d’une voix joyeuse :

— Que Dieu soit béni de vous avoir laissé vivre aussi longtemps, Baes Joris ! Vous êtes encore du bon vieux temps, vous ! Ne me reconnaissez-vous pas ? Non ? Vous ne vous souvenez pas de ce jeune polisson qui grimpait toujours par-dessus votre haie et mangeait vos pommes avant qu’elles fussent mûres ?…