Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/337

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plus mauvaises passions ? Ah ! Laurent, le seul homme qui ne m’ait pas oublié est-il et restera-t-il un ennemi ? Allons ! tendez-moi votre main : soyons amis ; je vous rendrai heureux pour le reste de votre vie !

Le fossoyeur retira brusquement sa main et dit d’une voix sombre :

— Oublier ? Moi vous oublier ? Il est trop tard : vous avez empoisonné ma vie ! Il ne s’est pas passé un jour que je n’aie pensé à vous. Était-ce pour bénir votre nom ? Ah ! jugez-en vous-même, vous qui avez fait mon malheur !

Le voyageur joignit ses mains tremblantes, leva les yeux au ciel et s’écria avec désespoir :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! la haine seule me reconnaît ! La haine seule n’oublie pas !

— Vous avez bien fait, reprit le fossoyeur avec un rire méchant, de revenir vous coucher auprès de vos parents morts. Je vous ai gardé une bonne tombe ; je placerai le long Jean si hautain sous la gouttière de l’église : l’eau du ciel lavera la méchanceté de son corps !

Un tremblement soudain secoua les membres du voyageur, et un éclair d’indignation et de colère jaillit de ses yeux. Mais cette violente émotion disparut aussitôt pour faire place à un sentiment d’abattement et de pitié.

— Vous repoussez la main d’un frère qui revient après trente-quatre ans d’absence, dit-il en soupirant. Le premier salut que vous adressez à votre vieux camarade est une amère raillerie ? Laurent, ce n’est pas bien… Mais