Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/344

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— Et vous aussi, bonnes gens, vous me connaissez, s’écria le voyageur. Vous me connaissez ? Je suis donc ici entouré d’amis : je retrouve une famille, des parents, là où jusqu’à présent je n’ai rencontré que la mort et l’oubli !

La femme montra une sainte Vierge tout enfumée sur la cheminée, et dit :

— Tous les samedis un cierge était allumé là pour le retour… ou pour l’âme de Jean Slaets !

Le voyageur leva pieusement les yeux au ciel, et comme si son cœur eût été délivré d’un poids immense, il s’écria :

— Soyez béni, mon Dieu ! vous avez cependant fait l’amour plus puissant que la haine. Mon ennemi a gardé dans son cœur mon nom enveloppé dans le sombre souvenir de son inimitié ; mon amie a vécu de ma mémoire, son amour a tout enflammé autour d’elle ; elle m’a rendu présent ici, et m’y a fait aimer… alors que six cents lieues me séparaient d’elle ! Merci, mon Dieu, je suis assez récompensé !

Un long silence suivit ces paroles ; Jean Slaets maîtrisait difficilement l’émotion qui agitait son âme, et les habitants de la chaumière respectaient cette émotion. Le mari avait même repris son travail, bien qu’il épiât le moindre signe pour voler au-devant des désirs de son hôte.

Celui-ci avait repris petit Pierre sur ses genoux ; il dit enfin d’une voix redevenue calme :

— Mère, y a-t-il longtemps que Rosa demeure avec vous ?