Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/346

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acheter à manger et payer les petites bouteilles du pharmacien ; car Rosa était aimée de tout le monde, et quand elle allait près de la dame du château ou des bons paysans demander des secours pour les pauvres, on ne lui refusait jamais une grosse aumône. Et cela a duré six semaines ainsi, Monsieur, six semaines pendant lesquelles notre Nélis est resté étendu sur le grabat, et Rosa nous a protégés et aidés jusqu’à ce qu’il ait pu tout doucement se remettre à travailler…

— Comme vous devez aimer la pauvre aveugle ! dit le voyageur en soupirant.

Le mari leva la tête ; des larmes brillaient dans ses yeux, et il s’écria avec une véritable exaltation :

— Si mon sang pouvait lui rendre la vue, je le laisserais couler jusqu’à la dernière goutte !

Cette exclamation produisit un tel effet sur Jean Slaets que la femme s’en aperçut et fit un signe de tête à son mari pour lui recommander le calme. Elle reprit :

— Trois mois après. Dieu nous donna un enfant : il est sur vos genoux. Rosa, qui longtemps avant savait qu’il devait venir au monde, voulut le tenir sur les fonts, et Pierre, le frère de Nélis, devait être parrain. Mais le jour du baptême on se demanda quel nom il fallait donner à l’enfant, Rosa demanda en grâce qu’on l’appelât Jean ; mais le parrain, bon homme, mais entêté, il faut le dire, voulut, et il n’y avait rien à faire, que l’enfant se nommât Pierre comme lui ; après qu’on eut bien disputé il fut baptisé Jean-Pierre. Nous l’appelons petit Pierre, parce que son parrain, qui doit tout de même être maître en cela, puisque c’est un garçon, le veut