Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/347

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ainsi, et serait fâché si nous faisions autrement. Mais Rosa ne veut pas entendre parler de Pierre : elle n’appelle pas l’enfant autrement que Jean ; le cher agneau y est habitué, et il sait qu’il se nomme Jean parce que c’est aussi votre nom. Monsieur…

Le voyageur pressa avec effusion l’enfant sur son sein, lui donna un ardent baiser, et se mit à contempler sans rien dire le petit garçon qui le regardait en souriant ; le cœur de Jean Slaets débordait des plus douces joies. La femme continua :

— Le frère de Rosa s’était entendu avec des gens d’Anvers pour acheter dans le pays toutes sortes de denrées et les envoyer en Angleterre. Ce commerce devait l’enrichir, disait-on ; car il menait toutes les semaines à Anvers au moins dix voitures toutes chargées. Au commencement tout alla bien ; mais tout d’un coup quelqu’un fit banqueroute à Anvers, et le malheureux Baptiste Meulinckx qui répondait de tout, se trouva sur la paille et si pauvre qu’il n’eut pas même de quoi payer la moitié de ses dettes. Il en est mort, que le bon Dieu ait son âme ! Rosa alla alors demeurer dans une petite chambre chez Nand Flink ; mais la même année, Karel, le fils de Nand, qui était parti comme conscrit, revint à la maison avec les yeux malades. Quinze jours à peine après son retour, il devint aveugle. Rosa, qui avait pitié de lui et n’écoutait que son bon cœur, l’avait soigné dans sa maladie et lui donnait le bras pour lui faire prendre l’air. La pauvre fille gagna aussi la maladie des yeux, et depuis ce temps-là elle n’a plus vu le jour. Nand Flink est mort, et ses enfants sont partis. L’aveugle Karel est