Page:Conscience - Scenes de la vie flamande.djvu/348

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans une ferme du côté de Lierre. Nous avons alors prié Rosa de venir demeurer chez nous ; nous lui avons promis que nous l’aimerions bien, et que nous travaillerions pour elle tous les jours de notre vie ; elle est venue avec joie, et je puis le dire assez haut pour que Dieu l’entende, depuis bientôt six ans elle n’a reçu de nous que des paroles d’amitié, car elle est la douceur et la bonté même, et quand il s’agit de faire un plaisir à Rosa, nos enfants se battraient et s’arracheraient les cheveux pour arriver les premiers…

— Et elle mendie ! dit le voyageur en soupirant.

— Oui, Monsieur, dit la femme avec une sorte de dignité blessée ; mais ce n’est pas notre faute ! Ne croyez pas que nous ayons oublié ce que Rosa a fait pour nous ! — Si nous avions dû nous atteler à la charrue et souffrir tous de faim, pour qu’elle ne mendie pas, elle ne l’aurait jamais fait ! Ah ! que pensez-vous donc de nous. Monsieur ? Non, nous l’en avons empêchée pendant plus de six mois, et c’est le seul chagrin que nous lui ayons jamais fait. Lorsque notre ménage s’est si vite augmenté, Rosa a pensé, dans son cœur d’ange, qu’elle pouvait nous être à charge, et elle a voulu nous assister. Il n’y a rien eu à faire ; elle devenait malade de tristesse ; nous le voyions bien, et après qu’elle eut supplié pendant une demi-année, nous avons fini par consentir. Après tout, Monsieur, ce n’est pas une honte pour une femme aveugle ! Et puis, bien que nous soyons pauvres, nous n’avons, Dieu merci, besoin de rien. Elle nous force souvent à accepter une partie de ce qu’elle ramasse dans ses tournées, — nous ne pouvions toujours être en dispute